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L'histoire des grands textes de l'Éducation nationale

30 Décembre, 2023

Original:https://www.education.gouv.fr/reforme-de-l-enseignement-public-1709

Exposé des motifs

L'immense mouvement, à la fois démographique, économique et humain, qui bouleverse actuellement les perspectives traditionnelles de la vie nationale impose, entre autres exigences, une réforme de notre enseignement.

Les nombreux projets qui ont été établis depuis la Libération témoignent de cette nécessité, chaque jour plus urgente. Parmi ces projets, les uns ont été jugés excessifs, d'autres trop timides. Celui-ci, qui n'est inspiré ni par des vues doctrinales ni pourtant par un empirisme à courte portée, nous l'avons conçu sous la référence du réalisme et de l'efficacité.

I. - La prolongation de la scolarité

L'ordonnance affirme, en premier lieu, le principe, applicable à longue échéance, de la prolongation de la scolarité jusqu'à seize ans.

Cette mesure est à nos yeux loin d'être essentielle. Lorsqu'elle entrera en application, c'est-à-dire, comme dans le projet le plus récent, huit ans après la mise en application du présent texte, autrement dit en 1967, elle ne fera qu'entériner un mouvement spontané et si large que la pression de la loi n'aurait lieu de s'exercer, si elle était appliquée demain, que sur 35 p. 100 de nos adolescents.

En 1914, moins de 5 p. 100 des enfants poursuivaient leurs études au-delà de la scolarité obligatoire, dont le terme était alors atteint à treize ans. Aujourd'hui, alors que cet achèvement est fixé à quatorze ans, le pourcentage est de l'ordre de 65 p. 100 pour l'ensemble du pays. Il avoisine 75 à 80 p. 100 dans les grandes agglomérations et les régions industrialisées. Il atteint 84 p. 100 à Paris. Il est vraisemblable, qu'au rythme actuel de progression, il dépassera, en 1967, celui de 80 p. 100 pour l'ensemble du territoire.

Aussi l'opinion, sensible aux exigences accrues de toutes les tâches, aussi modestes qu'elles paraissent, s'accorde-t-elle unanimement à tenir pour indispensable une formation plus achevée. Cette promotion terminale, d'inspiration très concrète, différenciée selon les milieux de l'activité prochaine, aussi bienfaisante à l'ouvrier qu'au paysan, sera, non pas du tout une répétition de l'école primaire, mais une préparation directe à la vie pratique, dont on sait bien qu'elle ne peut plus s'accommoder des simples connaissances élémentaires.

II. - Investir à plein profit

La réforme véritable est ailleurs. Elle répond d'abord à une prise de conscience de la révolution démographique qui s'accomplit devant nous. Les générations très fortes de l'après guerre sont arrivées à l'âge scolaire. Elles ont presque recouvert l'enseignement primaire, déjà elles doublent les effectifs des deux premières années de l'enseignement secondaire. Elles atteindront dans un an l'enseignement technique, dans cinq ans l'enseignement supérieur.

Au même moment, malgré quelques inquiétudes récentes, l'activité économique du pays offre à nos enfants et à nos adolescents des ouvertures considérables. Encore faut-il, sous peine des plus graves mécomptes, que l'expansion humaine et l'expansion économique soient mises en correspondance, sans que pourtant se trouve le moins du monde menacé l'héritage de savoir désintéressé et la tradition humaniste qui constituent l'essence du génie français et fondent son originalité.

Quelques chiffres fixeront d'abord l'ampleur de l'effort qu'en tout état de cause, avec ou sans réforme, nous devons accomplir dans les toutes prochaines années. En 1961, nous recevrons environ 6.500.000 élèves dans l'enseignement du premier degré contre 6.100.000 actuellement, y compris les effectifs des cours complémentaires, qui atteindront sans doute plus de 520.000 élèves en 1961, contre 310.000 actuellement. L'enseignement secondaire avec l'organisation actuelle passerait d'un effectif de 650.000 élèves en 1957 à un effectif de plus de 900.000 élèves. L'enseignement technique, qui compte aujourd'hui 330.000 élèves et en refuse durement près de 60.000 chaque année, aura certainement à accueillir 160.000 élèves supplémentaires d'ici la même date.

Telles sont les données numériques de base irréfutables, qui dictent à la nation l'un de ses plus impérieux devoirs.

Toute la question est de savoir si, ces mêmes investissements, nous entendons les utiliser à faible ou plein profit.

III. - Contradiction et lacunes de l'organisation actuelle

Au moment où une aussi claire évidence impose au pays de tels investissements, l'éducation nationale doit dresser son bilan, constater ses insuffisances, proposer les adaptations qui doivent assurer aux contributions financières de la nation une pleine rentabilité.

De graves contradictions déséquilibrent nos enseignements. Notre enseignement secondaire par exemple s'affaiblit et menace de succomber sous la pléthore. Alors que cette vague n'a encore recouvert que ses deux premières années, comment accepter la perspective de lycées bientôt submergés par un million d'élèves, dont la moitié sans doute n'y seraient entrés qu'en méconnaissant leurs véritables aptitudes ?

Le drame est là : nous retenons dans l'enseignement théorique nombre de jeunes esprits - qui trouveraient mieux leur voie dans l'enseignement technique à l'un ou à l'autre de ses niveaux - et, dans le même temps, nous abandonnons dans l'enseignement utile mais sommaire des classes de fin d'études, ou dans les enseignements courts, des intelligences auxquelles les enseignements longs, technique ou secondaire, vaudraient leur accomplissement véritable.

Par une exacte recherche de ces diverses aptitudes, les différents types d'enseignement doivent recevoir tous les élèves qui s'avèrent plus particulièrement aptes à suivre tel ou tel d'entre eux. C'est là tout le problème qui n'est pas de hiérarchisation mais de répartition.

C'est seulement par cet inventaire exhaustif de nos ressources intellectuelles, actuellement incomplètement prospectées et trop souvent fourvoyées, que nous mettrons fin à la perte de substance que nous déplorons, et dont souffrent aussi bien les individus que la nation elle-même.

Nous ne pouvons plus maintenir une organisation scolaire qui ne nous permet de former qu'un chercheur, un ingénieur, un professeur quand il en faudrait deux, un technicien quand trois seraient nécessaires, tandis qu'à l'inverse, se presse dans nos enseignements supérieurs des lettres, de la philosophie et du droit une foule d'étudiants, à qui nous n'avions pas préparé d'autre issue, et qui doivent maintenant recourir à de tardives et difficiles « reconversions », faute de quoi ils se condamneraient, ce n'est pas sans exemple, à des besognes de fortune et de déboire.

IV. - Les fins et les moyens

Nos intentions, dès lors, se réfèrent à la raison la plus simple. Si un cloisonnement paralysant et une prospection très fragmentaire constituent les défauts majeurs, une règle fondamentale s'impose à nous. Affirmons-la, sans craindre de répéter la notion essentielle, qui est celle d'une « possibilité » prolongée d'orientation et de réorientation : il faut que les élèves soient confiés, le plus longtemps possible, à des enseignements aussi peu différents que possible qui, à leur terme, leur offriront encore des choix aussi nombreux que possible pour les formations définitives.

A. - Le cycle d'observation. - Sa définition.

Mais il s'agit d'abord de conduire aux enseignements de formation tous les enfants capables de les suivre avec fruit, ensuite de substituer à l'orientation de hasard ou de préjugé, qui vaut actuellement à nos élèves tant de tentatives avortées ou de choix sans issue, une orientation fondée sur la pleine observation de leurs aptitudes.

Si cette observation complète requiert que les élèves ne soient pas trop vite dirigés dans les voies qui les engagent définitivement, elle ne doit pourtant ni contrarier, ni ralentir, le déroulement normal des études. Les jeunes intelligences ne sauraient être en rien retardées dans leur élan, non plus d'ailleurs que celles qui se dévoilent plus lentement ne doivent être victimes du délai nécessaire à leur démonstration.

Cette double nécessité de mettre en œuvre, à l'âge des choix, un enseignement plein, suivi au rythme habituel, et une observation qui, pour être attentive et prolongée, ne doit en aucune façon gêner ou dérouter l'enseignement, nous a conduits à ne pas retenir le système des essais successifs, et à faire de l'enseignement lui-même le cadre, et le moyen, de l'observation et de la détection des aptitudes.

Certes des efforts sont déjà accomplis dans ce sens. Sporadiques, ils sont d'ailleurs contrariés et par le cloisonnement de nos divers types d'enseignement et par la difficulté de revenir sur l'orientation de départ, fixée dès le premier jour de l'année de sixième, c'est-à-dire à un moment où, pour le plus grand nombre, on ignore presque tout encore de l'aptitude de l'enfant à tel ou tel des enseignements prolongés, que la nouveauté de leurs disciplines, leur esprit, leurs méthodes et leurs fins différencient essentiellement - même s'il s'agit de l'enseignement moderne - de l'enseignement primaire.

Les intentions maîtresses de cette réforme peuvent dès lors se rassembler dans les principes suivants :

1° Assurer une prospection aussi complète que possible de nos ressources juvéniles ;
2° Au cours de la phase d'enseignement-observation laisser les sujets qui auront rapidement confirmé leurs dons s'engager pleinement, et sans perte de temps, dans la voie qu'ils ont choisie ;
3° Cependant, assister les autres, c'est-à-dire la majorité des enfants, dont les aptitudes sont encore peu déclarées ou peu orientées, par une observation rendue obligatoire qui permettra de signaler à leurs familles, d'abord, les contre-indications manifestes, ensuite, s'il en est besoin, et aussi longtemps qu'il sera utile, les réorientations nécessaires ;
4° Enfin, donner aux élèves et aux familles au terme du cycle, un conseil dûment élaboré en vue des enseignements ultérieurs, dont les fins et les exigences sont si dissemblables, en même temps que nous tendrons à rapprocher les programmes à la base des différents enseignements, de telle manière que le passage de l'un à l'autre puisse s'effectuer sans perte de temps et sans dommage pour la suite des études.

De là procède l'organisation du cycle d'observation. Au fur et à mesure de l'organisation et de l'implantation de ce cycle, nous y recevrons tous les enfants de dix à onze ans qui auront acquis les connaissances élémentaires indispensables.

Les autres, qui n'auront pas appris encore les mécanismes de base et les savoirs fondamentaux, ne pourront évidemment que demeurer dans les classes élémentaires jusqu'à ce que ces acquisitions soient assurées, ou, si elles tardaient excessivement, entreront directement, sans passer par le cycle d'observation, dans l'enseignement terminal, essentiellement concret, qui leur assurera, avec la formation intellectuelle et morale nécessaire à l'homme et au citoyen, une préparation très pratique, susceptible de leur ouvrir les métiers de base, industriels, commerciaux ou agricoles.

Les élèves dûment formés sont donc entrés dans les classes du cycle d'observation. Le premier trimestre de la première année sera, quel que soit l'établissement en cause, consacré à l'affermissement des connaissances élémentaires. Tous les professeurs des classes de sixième ont éprouvé la nécessité de cette reprise générale ; ils savent combien il importe de réactualiser les acquisitions précédentes et, par exemple pour l'analyse grammaticale et l'analyse logique, de leur donner l'orientation nouvelle qui va préparer, comme une condition indispensable, l'étude des langues, anciennes ou vivantes.

Un tel enseignement possède, outre sa vertu propre, une grande valeur d'observation. L'examen attentif des connaissances, des progrès, des réactions de l'élève sera souvent révélateur de son aptitude, ou de son défaut d'aptitude, aux études classiques. Un premier conseil, qui ne sera affirmatif ou négatif que dans les cas les plus manifestes, pourra donc être donné aux familles sur le choix qu'elles auront à accomplir, en vue du deuxième trimestre de l'année scolaire, entre l'enseignement classique et l'enseignement moderne.

Au premier janvier, nos élèves se trouvent donc engagés dans l'un ou l'autre de ces deux enseignements. Ceux-ci, continués au rythme habituel, permettront à l'observation de se poursuivre, assidue et vigilante, afin que, au terme du deuxième trimestre, une nouvelle indication soit apportée aux familles. Ainsi évitera-t-on de voir tant d'élèves ne poursuivre les études classiques que parce qu'ils les ont commencées. On ne saurait trop souligner les méfaits d'une telle situation psychologique ; un échec dans une discipline donnée reste rarement isolé, il crée pour nombre d'élèves un halo général d'insuccès et d'infériorité qui, trop souvent, ne laisse pas de compromettre tout le destin scolaire de l'enfant. À l'inverse, un élève rapidement déchargé de son insuccès, encouragé à suivre une direction désormais plus conforme à ses aptitudes, est fréquemment un élève sauvé.

Mais la tâche, peut-être essentielle, du conseil d'orientation sera évidemment de préparer, grâce à l'observation très suivie dont les élèves auront été l'objet, les choix qui interviendront, à la fin de la deuxième année du cycle, entre les différents types d'enseignement. On pressent combien doit être éclairé le choix des élèves et des familles entre des formations aussi différentes que l'enseignement technique long ou court, l'enseignement général long ou court, et, au sein de ces divers enseignements, les orientations plus particulières, par exemple vers l'étude du grec ou celle du programme de l'enseignement moderne. Nous sommes profondément convaincus que les interventions du conseil d'orientation, fondées sur l'expérience de deux années, éviteront enfin ces fourvoiements qui sont, pour une large part, responsables du déplorable échec de tant de nos élèves - cet échec que manifeste si durement le pourcentage des succès au baccalauréat par rapport au nombre d'élèves qui, sept ans plus tôt, s'étaient assis sur les bancs des classes de 6e.

Enfin, et c'est à nos yeux une innovation très importante, nous devons être soucieux des enfants qui, pour une raison quelconque, n'auraient pu être reçus dans les classes du cycle d'observation, ou n'auraient pas bénéficié de toutes les possibilités d'option qu'il comporte dans son principe. A leur intention, nous instituons, parallèlement aux classes de 4e, du type normal, des classes d'accueil et d'adaptation qui auront pour mission, grâce à des horaires et à des programmes appropriés, de mettre ces élèves, après examen de leurs possibilités et de leurs connaissances, au niveau de la forme d'enseignement, générale ou technique, longue ou courte, qui correspondra le mieux à leurs aptitudes.

Nous croyons avoir ainsi réalisé, de la manière à la fois la plus simple et la plus efficace, cette observation en vue de l'orientation réfléchie, qui, on s'accorde à le reconnaître, fait présentement défaut, et si lourdement, à notre système d'enseignement.

B. - Le cycle d'observation. - Son implantation.

Les observations qui précèdent indiquent pourquoi il ne nous parait pas nécessaire de subordonner la réalisation effective de la réforme à la construction, inévitablement très coûteuse, « d'écoles moyennes », à raison d'une ou plusieurs par canton, ou même à la constitution, pourtant plus aisée et moins onéreuse, d' « unités d'enseignement moyen » conformes aux normes du projet approuvé en 19S5 par le gouvernement d'alors.

Nous disposons, en effet, dans l'immédiat, de ressources qu'il est possible d'employer pour donner à la recherche des aptitudes toute son ampleur. Nous mobiliserons dans cette voie l'ensemble de nos classes de sixième et de cinquième de nos lycées, collèges et cours complémentaires actuels, ainsi que certaines classes de fin d'études primaires, puisqu'il est avéré qu'un nombre relativement élevé d'enfants demeurent actuellement dans ces classes, bien qu'ils disposent de moyens souvent égaux à ceux de leurs camarades qui entrent dans les enseignements prolongés.

Pour que, entre ces classes, et quelle que soit la direction dont elles relèvent au ministère, le passage soit commode, il suffit d'assurer un rapprochement de leurs programmes, puis de leurs méthodes. C'est dans cette harmonisation concrète que se trouve la clé majeure - et la plus simple - de toute réforme. Aussi soumettrons-nous sans retard à nos instances consultatives les textes nécessaires à cette indispensable conjugaison.

Cette même action, et d'ailleurs la progression très rapide de tous nos effectifs, nous conduiront à accentuer la politique nouvelle d'implantation de nos établissements secondaires et techniques, à laquelle nous avons déjà fait allusion. Ils s'étendront, certes, dans leur cadre traditionnel, c'est-à-dire dans les chefs-lieux de départements et d'arrondissements. Mais aussi, nous accentuerons leur dispersion géographique. L'enseignement, sous toutes ses formes, doit être mis à la portée de ses usagers ; nombre de chefs-lieux de canton recevront donc, dans une harmonisation évitant concurrences et doubles emplois, des classes de 6e et de 5e, voire des ensembles de premier cycle, qui installeront l'enseignement secondaire et l'enseignement technique à quelques kilomètres au plus des résidences familiales.

Cette formule aura le grand avantage de laisser les enfants à leurs familles, d'ouvrir mieux les enseignements de formation à la fréquentation rurale, jusqu'ici tributaire de l'internat, formule financièrement cinq fois plus lourde que l'externat et, au point de vue de l'éducation psychologique et morale, combien moins satisfaisante !

Les cours complémentaires, devenus « collèges d'enseignement général », seront, eux aussi, appelés à resserrer davantage encore leur réseau. En deçà du chef-lieu de canton, ils s'implanteront dans nombre de petits centres ruraux. Ainsi, des éléments des différents ordres d'enseignement coexistant souvent dans une même localité, l'ensemble des options sera offert au choix des enfants.

Il arrivera assez fréquemment, cependant, que le cours complémentaire constituera dans une localité la seule forme de l'enseignement prolongé. Dans ce cas, généralisant une pratique déjà expérimentée avec succès, nous mettrons à sa disposition, par une implantation progressive, un professeur d'enseignement classique, un professeur d'enseignement technique, un professeur de langue vivante, détachés des établissements voisins, pour élargir la révélation des aptitudes et faciliter l'orientation rapide des élèves qui s'affirmeraient aptes à suivre les études de l'enseignement long, classique, moderne ou technique.

Quel que soit le système adopté pour l'enseignement de choix et d'orientation, nul ne peut escompter que l'organisation nouvelle sera parfaite d'emblée. Mais l'essentiel est de lancer le mouvement. Le temps, et notre action constante, conduiront à sa plénitude une réalisation dont la mise en place ne peut être que de longue haleine, mais qui doit être poursuivie avec persévérance et ferme volonté. Cette réforme s'accomplira par un effort soutenu d'organisation, qui s'affirmera et s'amendera de mois en mois et d'année en année, en fonction de l'expérience, cette maîtresse de vérité.

C'est elle qui nous guidera dans une mise en œuvre de la réforme, aussi rapide, pratique, efficace que possible. A cette fin, le projet porte création d'un conseil ministériel de l'orientation présidé par le ministre. Eclairé par les rapports de l'inspection générale chargée de coordonner les méthodes des cycles d'observation, ce conseil rassemblera les informations et distribuera périodiquement les directives nécessaires.

Faut-il dire combien nous attendons de l'autorité et du dévouement de nos divers corps d'inspection ! C'est à eux spécialement qu'il appartiendra de veiller, jour après jour, à cette mobilisation de tous nos moyens dans le sens de la prospection, de l'observation et du dégagement des aptitudes de nos enfants.

C. - Les réorientations et les classes « passerelles ».

Des réorientations, que le cycle d'observation aura rendues beaucoup moins nombreuses, devront cependant demeurer faciles le plus longtemps possible. Des « passerelles », analogues à la passerelle principale, instituée au niveau de la classe de 4e, et déjà décrite, seront donc installées, en tant que de besoin, au niveau des classes de troisième, et même de seconde, entre l'enseignement général et l'enseignement technique, et dans les deux sens.

* * *

Sous cette réserve, les élèves vont, à la fin du cycle d'observation, se trouver engagés :

  • soit dans l'enseignement terminal qui, avec le concours des professions, achèvera la période de la scolarité obligatoire ;

  • soit dans l'enseignement technique court des centres d'apprentissage (désormais dénommés « collèges d'enseignement technique ») ;

  • soit dans l'enseignement général court des cours complémentaires (désormais « collèges d'enseignement général ») ;

  • soit dans l'enseignement technique long des collèges techniques et des écoles nationales professionnelles (appelés, les uns et les autres, « lycées techniques ») ;

  • soit enfin, dans l'enseignement classique ou moderne long des lycées classiques ou modernes.

II convient maintenant de définir ces différents modes de formation.

* * *

Les formations

1. L'achèvement de l'enseignement obligatoire. - Tous les élèves ne seront pas désireux ou capables d'entrer dans les enseignements longs ou courts, de style général ou professionnel. Pour un certain nombre - de moins en moins élevé, nous l'avons montré - les familles désireront que les trois dernières années de la scolarité obligatoire complètent et élargissent la formation générale et, en même temps, préparent l'entrée dans la vie active dès la seizième année.

Nous répondrons à cette intention en offrant à ces adolescents plusieurs types d'enseignement terminal :

a) Dans les campagnes, l'enseignement agricole (pour les garçons) et agricole ménager (pour les jeunes filles), institué par l'article 3 de la loi du 5 juillet 1941, sous le nom d'enseignement postscolaire agricole et agricole ménager, constituera le plus souvent l'enseignement terminal. Il sera rendu plus efficace à la fois par un affermissement et un complément de la formation générale, par des stages dans des exploitations agricoles dûment choisies et par une large et concrète initiation à la mécanique agricole, cet élément désormais essentiel de la vie paysanne. L'enseignement terminal rural recevra ainsi un caractère très pratique qui devrait assurer à nos futurs agriculteurs les connaissances et le savoir-faire désormais indispensables, leur signaler le nouvel intérêt d'une vie rurale modernisée et, enfin, conférer à cet enseignement terminal une utilité si visible, un attrait si évident, que la scolarité prolongée avec une très grande souplesse apparaîtra à tous comme une découverte constante, de valeur immédiatement applicable dans l'exploitation agricole.

b) Pour d'autres jeunes ruraux, l'enseignement terminal sera associé à la formation artisanale afin de constituer l'une des sources du recrutement, si nécessaire, de nos artisans des campagnes auxquels il nous faudra d'ailleurs offrir largement les moyens d'une formation technique plus poussée. Il y aura d'ailleurs là progrès, mais non pas innovation véritable, puisque, ne l'oublions pas, la loi fait actuellement obligation aux jeunes gens de suivre jusqu'à dix-sept ans les cours professionnels prévus au contrat d'apprentissage.

c) Dans les villes, où dès maintenant, redisons-le, 75 p. 100 des adolescents poursuivent spontanément leurs études, la même combinaison de la formation générale et de la préparation à la vie active sera assurée. Elle permettra soit la formation d'artisans urbains, soit la préparation des ouvriers spécialisés grâce à la collaboration de l'enseignement technique et d'entreprises attentivement choisies, où des stages, inclus dans l'horaire scolaire, pourront être prévus. Ces dispositions ne font d'ailleurs, ici encore, que confirmer, en en assurant une application plus stricte et plus efficace, des dispositions législatives actuellement en vigueur.

Tenant compte de la réalité très nombreuse que représente l'ouvrier spécialisé, c'est-à-dire, on le sait, l'ouvrier non qualifié, nous entendons lui donner, d'une part, une formation professionnelle missi polyvalente que possible qui lui permettra, à travers des tâches et des techniques en transformation rapide, de détenir des moyens de réadaptation aisée. Seule, soulignons-le, cette fusion de la formation générale et de l'initiation professionnelle permettra, d'une part, d'obtenir une élévation personnelle et technique des travailleurs de base, d'autre part, de conférer à l'enseignement terminal la forme originale qui lui est indispensable. Autant ces jeunes gens ne recevraient qu'avec négligence ou dépit un enseignement terminal de style purement scolaire, autant ils seront attentifs à une formation adaptée à la fois à l'homme, au citoyen et au travailleur qu'ils seront demain.

Dans la même préoccupation, marquons nettement que cette organisation de la scolarité terminale, tant rurale qu'urbaine, n'appellera pas l'implantation d'écoles terminales distinctes. En effet, dans une scolarité prolongée, les classes de fin d'études prendront tout naturellement, pour les élèves de quatorze à seize ans, l'orientation que nous venons de définir. Dans les régions rurales, leur rôle nouveau appellera leur regroupement, toujours organisé de telle façon que les élèves demeurent au plus près de leur résidence familiale, qu'ils regagneront chaque soir, ayant pris à la cantine leur repas de midi. Dans les agglomérations rurales plus importantes c'est aux cours complémentaires, désormais dénommés « collèges », que seront annexées le plus souvent les sections terminales.

Ainsi sera entièrement évitée pour ces sections une implantation ségrégative, dont il est inutile de souligner les graves inconvénients pédagogiques, sociaux et psychologiques.

2. L'enseignement technique court. - Cet enseignement, qui devra toujours pouvoir déboucher, pour les jeunes gens qui en seront capables, sur les enseignements techniques longs, continuera d'être assuré par les centres d'apprentissage - désormais dénommés « collèges d'enseignement technique », dont l'heureuse formule, constamment adaptée aux besoins économiques, et par conséquent aux débouchés, sera encore développée, en fonction, notamment, des remarques et des prévisions présentées par les rapports du commissariat au plan d'équipement et de modernisation. En particulier, un effort important devra être accompli pour permettre à ces établissements de recevoir plus complètement les jeunes gens qui s'avèrent susceptibles de parvenir à la qualification professionnelle.

3. L'enseignement technique long. - Cet enseignement appelle la définition d'un enseignement technique prolongé, déjà installé d'ailleurs avec l'accord et le concours des professions, sous l'influence des précédents projets de réforme. Il comporte dès maintenant une structure étagée que nous nous proposons de renforcer encore.

Elle nous permet d'affirmer qu'aucun adolescent ne sera arrêté à un stade de préparation qui, pour les meilleurs, ne sera jamais qu'un palier. La progression est continue, en effet, de la simple qualification professionnelle à la haute formation du technicien, voire de l'ingénieur, formation qu'un stage obligatoire dans une entreprise achèvera de confirmer et d'actualiser.

En installant ainsi, de façon expresse, la possibilité d'une constante ascension dans le domaine professionnel, nous donnons à celui-ci, dans la réalité des choses, un rehaussement que nous confirmons, jusque dans le prestige des mots, par les appellations, déjà évoquées, de « technicien breveté » et de « technicien supérieur breveté ». Elles tendent à valoriser ces formations, à engager un grand nombre de jeunes gens à les suivre, soit directement, soit par bifurcation à partir de l'enseignement général, dès que la forme de leur esprit et la pente de leurs goûts les y autorisent.

Il convient en effet d'observer ici encore, c'est un point essentiel, que des sections spéciales joueront le rôle de passerelles, et assureront aux élèves issus des établissements d'enseignement général une formation professionnelle adaptée au niveau de leurs études antérieures.

Tel est l'effort, peut-être décisif, que nous accomplissons en faveur de cet enseignement professionnel qui, par delà le discours, devait recevoir, dans les faits eux-mêmes, ses lettres de noblesse.

Dans l'intention déjà dite, tous les établissements d'enseignement technique distribuant une formation longue, qu'elle débouche sur les diplômes professionnels ou sur les baccalauréats techniques prennent le nom de lycées techniques.

4. L'enseignement général court. - Il ne cessera pas d'être confié à nos excellents cours complémentaires qui, dans une double intention de simplification et de promotion des appellations, prendront nom de collèges d'enseignement général. Cet enseignement conserve pour mission de préparer les adolescents aux nombreux emplois de cadres moyens non techniques, ou peu techniques, c'est-à-dire au secteur « tertiaire » dont on sait le rapide et large développement, et bien entendu, aux écoles normales d'instituteurs.

Aussi, nous l'avons dit, le nombre de ces établissements devra-t-il être accru encore, jusqu'à essaimer dans des localités nombreuse, parfois même en deçà des chefs-lieux de canton.

Actuellement, les cours complémentaires terminent, du moins en principe, leur scolarité après la classe de troisième. Or, une faille d'une année apparaît de plus en plus entre l'âge d'achèvement de cette scolarité et l'âge où jeunes gens et jeunes filles peuvent effectivement se présenter à un concours de recrutement administratif ou entrer dans un emploi.

L'enseignement des collèges d'enseignement général sera donc prolongé d'une année, qui pourra être désormais consacrée, puisque à ce stade toutes les orientations ou réorientations auront eu lieu, à un enseignement nettement dirigé vers la préparation concrète aux divers emplois non techniques. Le cas échéant, pour les élèves qui, au terme de cette cinquième année, n'auraient pas encore atteint l'âge requis pour se présenter aux différents concours administratifs ou pour prendre un emploi public ou privé, des sections spéciales pourront recevoir ces « redoublants » afin, en reprenant les mêmes programmes, d'améliorer leur formation.

5. L'enseignement général long. - Après les deux années consacrées à la recherche des aptitudes et au choix d'une orientation, l'enseignement général est continué, selon le choix de l'élève, dans sept sections. Par référence à la structure présente, une modification essentielle intervient : l'aménagement, le renforcement, de l'actuelle section B (latin, langues) et son adaptation.

Nous ne pouvons pas ne pas être sensibles, en effet, à l'importance des langues vivantes dans la vie moderne. Mais observant que, le mince secteur de l'interprétariat mis à part, on ne parle pas à vide les langues étrangères, nous avons entendu compléter le bagage ordinaire de ces élèves d'une formation qui, précisément, leur permettra de découvrir des occasions effectives d'entreprendre le dialogue et de parler authentiquement le langage étranger.

Aussi bien, nous tiendrons la main à ce que l'enseignement des langues vivantes, sans compromettre à coup sûr la valeur culturelle qu'il représente, soit orienté, de manière décisive, vers l'usage concret du langage, qui, pour le plus grand nombre, doit être considéré comme une fin essentielle.

S'il est vrai que bien des inaptitudes scientifiques ne sont que des apparences, fondées sur un désir de facilité ou sur des aversions redressables, il apparaît cependant que certaines formes d'esprit sont peu aptes aux sciences exactes sans que leur valeur puisse être contestée. Elles seront à l'aise dans la nouvelle section B, si elles ont préféré la branche classique, dans la section M', si elles ont opté pour un enseignement moderne. Elles y trouveront une formation générale orientée vers les sciences de l'homme et les moyens modernes d'expression des faits économiques et humains, c'est-à-dire, notamment, vers l'histoire et la géographie, économiques, et vers un enseignement mathématique orienté vers des applications concrètes, par là plus facilement accessible.

L'année terminale de l'enseignement général ne reçoit pas d'autre modification que celle qui résulte, pour la section « Sciences économiques et humaines » de l'élargissement des perspectives qu'implique le dernier de ces adjectifs.

Quant au baccalauréat, qu'il nous a semblé nécessaire de maintenir, mais aussi d'amender, il lait l'objet d'un projet de décret séparé.

* * *

L'enseignement supérieur

L'enseignement supérieur non seulement conserve, mais voit s'épanouir toute la haute mission que lui assigne sa grande tradition.

Le monde moderne change si vite et ses transformations sont souvent si profondes et si imprévues, qu'il ne saurait être question d'établir par un texte législatif un cadre qui limiterait d'avance les développements de notre enseignement supérieur, ou un ensemble de principes fixant les orientations qu'il devrait prendre et les priorités qu'il aurait à respecter.

Dans ce domaine de l'éducation, plus encore que dans les autres, il convient de se préparer à l'avenir en laissant ouvertes toutes les possibilités et en conservant la souplesse indispensable à l'invention et à la création.

A la conception d'une réforme rigide, qui remplacerait un système par un autre, il convient donc de substituer celle d'une transformation continue et d'une adaptation permanente.

C'est ainsi seulement que l'enseignement supérieur pourra constituer l'organe capable d'animer le progrès scientifique, d'assurer son épanouissement technique et de maintenir sa valeur humaine.

Dans la même intention de garantir à la fois l'indépendance de la recherche et l'efficacité du travail, il sera créé, dans les établissements de l'enseignement supérieur, des « départements » qui, groupant les enseignements et les recherches relevant d'une même discipline et des disciplines voisines, assureront, sous le contrôle et la responsabilité des doyens et des recteurs, le plein et le meilleur usage des ressources et des installations, coordonneront les enseignements et les travaux et rendront plus étroite la liaison, devenue absolument indispensable, avec les activités régionales ou nationales.

Ainsi, l'enseignement supérieur confirmera mieux encore sa valeur d'animation sous le rapport du progrès scientifique et de son exploitation technique et humaine.

Programmes et méthodes

D'évidence, le présent texte ne saurait, au sujet des programmes et des méthodes, que définir des intentions d'ensemble dont nous aurons à tirer aussitôt les conclusions concrètes dans des textes d'application.

Du moins ces principes sont-ils nettement, quoique brièvement, posés.

En ce qui concerne les programmes, ils devront tenir le plus grand compte des limitations, souvent négligées, qu'imposent pourtant les possibilités d'un jeune organisme. Si, sur ce point, le projet se réduit à quelques lignes, celles-ci sont lourdes de sens et de portée. Ainsi ramassée, notre volonté de réforme n'en est que plus expresse. Nous entendons tenir le plus grand compte du si remarquable rapport du professeur Debré qui nous a été naguère remis au nom des médecins et des hygiénistes et qui constitue un juste cri d'alarme. Il faut que nos enfants jouent, il faut qu'un temps soit réservé à leurs activités libres, il faut qu'ils dorment.

Mais il importe aussi, essentiellement, de rappeler, ici encore, que le rapprochement des programmes sera, pour les premières années des enseignements de formation, une nécessité première. Là se trouve la clé véritable da la liberté des passages, de la réalité longuement prolongée des choix, bref, d'une orientation véritable. Cette analogie des programmes pour les disciplines fondamentales et communes n'empêchera évidemment en rien de conserver, et même d'étendre, la diversité des enseignements à option : elle constituera cependant la plate-forme à partir de laquelle les choix et les repentirs pourront s'exercer avec commodité. Cette harmonisation des programmes, déjà assez largement pratiquée, fera l'objet de décrets ou d'arrêtés qui seront soumis à nos instances consultatives.

Quant aux méthodes, il importera de les définir fermement dans l'esprit que nous avons signalé plus haut à propos de l'enseignement général. Des instructions ultérieures y pourvoiront.

Les maitres

La formation des maîtres devra également être adaptée aux fins générales et à l'esprit d'ensemble de la réforme.

Grâce à l'aménagement du baccalauréat et à la disparition corrélative de certaines déformations qui ont parfois été jusqu'à altérer l'esprit de l'enseignement et, chez les élèves, la forme ou l'inspiration de leurs études, nous pourrons donner une attention nouvelle à la préparation pédagogique et psychologique de l'ensemble de nos maîtres. Nous aurons à porter un soin tout particulier à l'information de ceux qui, dans l'enseignement du cycle d'observation, auront pour mission de découvrir les aptitudes et de conseiller les familles sur l'orientation de leurs enfants.

L'enseignement des inadaptés

Cet enseignement, qui devrait s'adresser à 6 p. 100 au moine des enfants, soit 40.000 enfants par an, a commencé de s'organiser. Mais c'est, il faut le dire, de façon empirique, et dispersée. Il nous faudra donner à ses maîtres et à ses établissements, si particuliers, un statut qui définisse leurs missions, leur action, leurs visées, la situation de leurs personnels. Des dispositions ultérieures y pourvoiront, mais le présent projet établit notre ferme intention de faire face rapidement à cette nécessité et, en même temps, d'instaurer pleinement le dépistage des enfants inadaptés éducables, d'installer dans chaque département à leur intention des établissements publics spécialisés sur le modèle des trop peu nombreuses maisons, écoles de plein air, écoles de perfectionnement, instituts médico-pédagogigues, qui accueillent actuellement, sous notre égide, un certain nombre d'élèves que leur état physique, leur déficience mentale ou leur instabilité caractérielle rendent inaptes à une scolarité normale.

L'éducation physique et sportive

Le projet affirme les fins, largement conçues, d'une éducation physique et sportive qui doit être distribuée de telle sorte qu'elle exerce ses bienfaits, non seulement sur le développement corporel des élèves, mais aussi - conformément au vieil adage - en vue de l'épanouissement de leur personnalité tout entière.

L'éducation culturelle et le perfectionnement professionnel

Nous avons voulu définir les visées de l'éducation culturelle avec une certaine ampleur : l'éducation culturelle, appellation plus large et plus exacte que l'actuelle dénomination d'éducation populaire, se propose d'offrir les possibilités d'un plein développement humain et d'une conscience toujours plus assurée de la responsabilité morale.

Ses moyens d'action seront :

Soit les centres spécialisés, créés ou reconnus par l'Etat, et dont l'extension devra être poursuivie ;

Soit les divers établissements de l'enseignement public qui doivent devenir, selon la vocation de chacun, des foyers de culture, des maîtres de l'enseignement public pouvant être appelés à consacrer à cette mission tout ou partie de leur activité :

Soit des œuvres, analogues à celles qui déjà bénéficient, en raison de leur objectif, de l'aide de l'Etat.

Mais l'éducation culturelle ne se sépare pas du perfectionnement professionnel : non seulement celui-ci doit assurer, à